Dans le mensuel de la Maison du Conte de Liège
Conteuse et pas que
Tombée dans la marmite
Un jour d’automne, j’ai rencontré une fée des contes merveilleux. Merveilleux, car ses contes nous démontrent que tout le monde est capable de surmonter n’importe quel obstacle ; qu’il y a toujours quelqu’un pour nous aider même si, à la fin, c’est toi, moi, chacun de nous, qui devons faire le dernier pas tout(e) seul(e).
Une fée qui nous arrive d’Espagne, mais elle est aussi une fée américaine, japonaise, belge. Une Liégeoise polyglotte. Cette fée, traductrice de métier, est aussi une conteuse merveilleuse.
Cette fée s’appelle Maria. Comme Obélix, Maria est tombée dans une marmite quand elle était toute petite. Mais c’est tout ce qu’ils ont en commun. Maria, c’est dans une marmite de contes qu’elle est tombée. Sans s’y noyer, elle a bu les paroles de son père qui lui racontait des histoires. Très vite, la potion l’a aidée à lire, très vite elle a été accro aux mots. Et oui, tel Obélix, la fée Maria a toujours été une grande gourmande, puisque depuis qu’elle sait lire, elle ne cesse de dévorer des histoires, avec une préférence pour les contes à la sauce merveilleuse. Les contes merveilleux et les belles illustrations qui accompagnent tantôt un recueil de contes traditionnels, tantôt un album de contes d’ailleurs.
Née en Espagne, la fée Maria baigne dans les livres et la littérature grâce à un super papa passionné de littérature, d’histoires et de poésie, et grâce à une super maman qui lui a offert sa passion pour la transmission des poèmes dits avec le cœur. Son super papa est aussi un amoureux des langues. En autodidacte, il change de langue comme il change de chemise. Et la fée Maria, et bien, elle prend le pas ! C’est grâce aux contes qu’elle a commencé à apprendre les langues. Son super papa les enregistrait avec sa voix et elle, la fée Maria, elle ne cessait de les écouter, encore et encore. Et comme, avec le temps, la machine était cassée, elle modifiait la voix et ça donnait au super papa une voix très rigolote.
La fée Maria n’a pas dix ans qu’elle part vivre aux États-Unis. Elle y grandira durant cinq années. Non seulement, elle découvrira, aimera, parlera anglais, mais c’est à la fin de ses primaires qu’elle va faire connaissance avec le Japon. Le pays du Soleil Levant, sa culture, ses traditions, ses contes, ses histoires grâce à une personne native qui viendra à l’école pour partager ses savoirs en matière de kamishibaï (théâtre de papier), de haïkus (poème bref qui tient sur trois lignes, en 17 syllabes), de calligraphie, d’origamis, etc. Cette langue riche et ses syllabaires intéressants lui permettent de se familiariser avec une nouvelle langue, langue qu’elle a choisie à l’université comme 3ème langue. Maria finira par y partir une année entière.
C’est en pleine adolescence que la fée Maria est attirée par les contes d’auteurs et les histoires courtes. Un peu plus tard, à la fin des années ’90, à l’université, il y a un boom pour les contes pour adultes. Grâce à un petit café, Libertad 8, je me passionne pour le conte conté. Ce lieu connu et reconnu à l’époque – et qui a tenu pas moins de vingt ans – organisait le vendredi ou samedi soir, des spectacles contés, avec une minuscule scène. Les yeux de la fée Maria pétillent. Elle me raconte que c’étaient uniquement des conteurs professionnels ; que cela ressemblait plutôt à une veillée qu’à un spectacle. La fée Maria allait boire un verre en écoutant des contes (pour adultes), avec des contes d’auteurs (Roald Dahl), parfois en lien avec des contes traditionnels. Cela durait environ une heure, avec un entracte. J’adorais ces moments magiques. Même les fées ont des rêves. Celui de Maria, c’était d’être un jour sur la scène de ce café.
Là-bas, en Espagne, il y a un conteur extraordinaire, qu’elle apprécie énormément : Héctor Urién. Depuis plus de dix ans, Hector raconte comme personne les contes des 1001 nuits. Il s’est fixé comme défi de raconter les 1001 nuits et il les raconte une à une, les 1001 nuits, une fois par semaine ! Il fait beaucoup de recherches, il adapte les classiques tel Don Quichotte qu’il raconte passionnément pendant une heure entière. Il met à l’aise et ça a l’air très facile pour lui, naturel. Maria me raconte, toujours avec de la poudre de magie qui volette partout autour d’elle, que ce conteur est très proche de son public. Poésie et tendresse passent dans sa voix, dans son regard, dans ses gestes. Il manie tous ces ingrédients, habilement, il soupoudre le tout d’un zeste d’humour et il peut tout dire.
J’ai retrouvé cette tendresse, cette proximité, cette ambiance familiale et familière à la première veillée donnée par La Maison du Conte et de la Parole de Liège à laquelle j’ai assisté. C’était en 2018, je crois. Au festival Retrouvailles, Maria a rencontré une autre fée : Chantal Devillez. Notre fée Maria a immédiatement vu que la fée Chantal donnait des formations sur les contes, comme celles auxquelles elle n’avait jamais osé aller en Espagne ! Oh, si ! Bien sûr que Maria avait un peu peur d’y aller, car n’oublions pas que le français n’est pas sa langue maternelle. Mais entre fées, elle s’est tout de suite sentie à l’aise et elle a sauté le pas : formation, histoires contées aux veillées de La Maison du Conte, formation, contes adaptés…
Et c’est ainsi que petit à petit, notre fée Maria s’est constitué un répertoire de contes bien à elle. A son image. A son dynamisme. A sa multiculturalité. Les contes traditionnels hispanophones y tiennent une grande place. C’est assez universel me dit-elle. Elle aime aussi beaucoup les contes traditionnels japonais : Issunbôshi par exemple. Ce petit samouraï fort et courageux inspire beaucoup notre petite fée qui n’est pas bien grande, mais qui comme Issunbôshi – et sa version espagnole – a un grand cœur. Elle est courageuse et sa volonté de réussir est très forte.
Le merveilleux, me précise-t-elle, je le sens comme une deuxième nature, j’en suis très proche, je rentre très facilement dans la métaphore.
Maria, la fée conteuse à l’accent merveilleux, réfléchit à une question que je lui pose. Je lui demande si elle peut m’expliquer comment elle se préparer pour une représentation. Maria (a) fait beaucoup de théâtre ; la scène, la parole véhiculent beaucoup d’émotions, de messages, d’histoires. Si elle aime écrire, elle attache beaucoup d’importance à l’oralité. Que ce soit dans son travail ou dans les contes, l’oralité y tient une place privilégiée. Sacrée. Elle n’a pas envie de « travailler un conte » en commençant par l’écrit, car elle craint d’être trop littéraire. Pour elle, elle fait une première lecture du conte, pour elle, silencieusement. Une fois qu’elle connaît l’histoire, elle laisse de côté le texte, elle garde en tête la structure, elle s’assure qu’elle l’identifie bien, puis elle voyage dans le conte, elle fait le cheminement de l’histoire visuellement, par des images. Pour ces images, parfois, elle les dessine, mais très peu. Elle trouve plus intéressant de visualiser le storyboard pour avoir ses propres images. Visualisation et réflexions quant au sens du conte.
La fée Maria fait des recherches quand elle se prépare à conter. Oui, elle cherche toutes les versions possibles et imaginables sur ce conte. Par curiosité d’abord, puis pour les langues, pour les cultures, les traditions, les messages. Elle peut choisir des morceaux de différentes versions. Elle a ainsi sa propre version sur laquelle elle travaille. Une fois visualisé entièrement, le conte est prêt pour être oralisé par la fée des contes.
Je l’oralise, une fois ou deux devant quelqu’un. Après il faut peaufiner. Ça prend du temps. Les gens ne se rendent pas compte du temps que ça prend. Pas de mémorisation, pas d’écriture. Je reste dans la visualisation et dans l’oralité.
Une fée, ça se forme. Un peu. Beaucoup. Toujours. Passionnément. Maria n’a jamais cessé de se former, car elle aime les formations en tous genres. Elle adore l’enseignement des deux côtés : être formée et former, transmettre mes connaissances. Depuis toujours ! Des formations en contes, en Belgique, Maria a commencé et progressé avec Chantal, puis durant la pandémie, elle a eu l’occasion de se former avec des conteurs et des conteuses espagnols et latino-américains, en ligne ! Comme tout était à l’arrêt, on a eu l’occasion de faire une formation très complète. C’était, me dit-elle, d’une richesse incroyable, très international, une magnifique expérience. Et depuis 2020, après la formation d’initiation à l’art du conte au Théâtre de la Parole, à Bruxelles, Maria poursuit cette aventure avec la formation longue, sur une durée de 3 ans !
Dernièrement, j’ai eu l’occasion de suivre une mini formation avec Pep Bruno : « comment conter avec un album jeunesse ? » Le livre est comme un partenaire sur scène, c’est comme si c’était un jeu à deux avec le public.
Maria a, comme toutes les fées, une mémoire exceptionnelle. Et elle se souvient d’un conte, de deux contes exactement, qui l’ont marquée : « Blancaflor ou La fille du Diable » et « La morte marraine ». Deux versions espagnoles de contes traditionnels. Ils m’interpellent beaucoup parce que le premier est l’un de mes contes merveilleux préférés. Il m’attire beaucoup par la figure de la fille du Diable, et l’autre, c’est un peu le sujet de la mort, le regard de ce conte sur la mort.
Ce sont ces deux contes qu’elle continue encore et encore à travailler. Elle n’est pas au bout du processus, car il y a beaucoup à approfondir.
Notre fée est polyglotte, vous l’avez compris. On pourrait dire qu’elle est quadrilingue. Elle conte en espagnol et en anglais de préférence, mais aussi en français. Les comptines et les chansons du folklore ont particulièrement la cote en anglais. Elle se sent plus à l’aise dans la langue de Shakespeare (une grande fan de Shakespeare) que dans celle de Molière. Quant au japonais, je suppose qu’elle ne conte pas dans cette langue, car il n’y a pas de public chez nous pour l’écouter.
Notre fée est aussi maman. Deux adorables filles qui lisent beaucoup, comme elle, mais qui sont son premier public également. Elles aiment bien écouter les contes, elles m’accompagnent aux veillées, elles aiment inventer leur propre conte, tant à l’oral qu’à l’écrit. Elles ont de très bonnes idées que je trouve très structurées. La plus grande, n’est pas vraiment une passionnée de lecture, mais elle a toujours écrit des histoires, même des BD. Maintenant, elle lit davantage, et elle continue d’écrire.
Le message de notre fée conteuse ? Rendez-vous aux veillées et scènes ouvertes ! En tant que public ou pour conter, ce que vous préférez. Je ne dirai pas le contraire, car autant pour Maria que pour moi, c’est grâce à ces rendez-vous où il fait beau conter, où l’on est écouté et conseillé et bien entouré qu’elle et moi avons pu nous lancer, faire nos débuts sur scène ! Et puis je retrouve cette ambiance particulière du café de mon époque. Cela me manque un peu cette familiarité, cette proximité dans les caféDes projets en cours ? Je travaille pour l’instant des contes traditionnels espagnols sur le thème de Noël. Je veux rendre accessible certaines traditions et certains contes qui me sont chers, comme la veillée de Noël (en Espagnol = Nochebuena (la bonne nuit)) qui nous montrent qu’il est possible de « traverser la nuit », de « rendre la nuit bonne » en y retrouvant à nouveau la lumière. Ce n’est pas pour tout de suite, mais j’y travaille.
Entretien mené par Cécile Ramaekers
Mensuel de diffusion d’informations sur l’oralité, les conteurs et les raconteurs de la Maison du Conte de Liège. Janvier 2023 – N°361